« O mon âme, tu es le début, tu es la fin, tu es l’apparent et le caché, tu es la vériét qui connaît chaque chose et qui se manifeste en chaque chose » les chants soufis du Bazm-Liqa Group réchauffe le corps et emporte l’esprit au cœur des montagnes du Pakistan.
Peu à peu nous quittons l’espace carré froid de ce dimanche parisien.
Une élévation après l’autre.
Il y eut les livres, les heures enfermées à décrypter les deux plus grands systèmes du monde. Où vont les mots ? Que deviennent-ils ? Ils se fracassent contre les vitres de l’Université. Derrière les nuages, il y a la civilisation. Les mots, les concepts se jouent de nos limitations, de nos habitudes de pensée.
Il y aura toujours les livres.
Puis il y eut les pieds. Ils se sont mis à (re)bouger. Semelles de vent retrouvées. Les kilomètres effacent très vite les certitudes occidentales. Le goût de la poussière se fait sentir. Sur le toit des bus en Himalaya, dans la jungle en Inde. Le roulement du train éloigne toute possibilité de concept. Seuls les poètes emportent les mots. Les rives d’Istanbul chantent un autre refrain. Les pentes du Mérapi apportent un temps différent.
Il y aura les images et leur fixité. Il y aura encore l’humanité. Celle qui va d’ici pour tout ailleurs. Elle a le goût du thé partagé, des négociations hasardeuses, de l’abandon des certitudes. Rien ne ressemble à un lever du jour à Java. Sur les pentes de l’Himalaya, il y a la saveur de l’étendue, le calme, le silence du ciel abattu sur la roche.
C’est dans cet écart que j’ai décidé de placer ma construction philosophique. Là où le vrai n’existe plus. Là où seule résonne notre humanité. Nous sommes en plein cœur de l’entre-deux.
Cette notion ne m’a jamais quitté. A l’époque de ma thèse sur les qualités, je défendais déjà cette idée, sans en mesurer les conséquences réelles. Cette pensée manichéenne a induit une construction sociale axée et donc figée. C’est cela que nous affrontons aujourd’hui, notre fixité. Nous sommes cloués, nos têtes se heurtent à nos limitations.
Nous devons prendre en compte la non fixation. Par exemple, La pensée chinoise comprend les notions de flux et de reflux. Elle met en lumière la notion de transition, et d’indistinct. C’est cela le tao, la voie de la viabilité. Il serait ici dangereux de comparer, et ainsi de retomber dans ce système que nous connaissons si bien (parce que nous y sommes tellement habitués) de considérer d’un côté la pensée comme vraie et de l’autre comme fausse. Non, il s’agit ici de faire émerger l’idée que la philosophie européenne en se fondant uniquement sur le système platonicien a engendré une segmentation : ceci est de l’ordre du corps, ceci de l’esprit (de l’individu et du politique). La vie, dans ce qu’elle a de mouvant, donc de vivant, bouge, nous fait prendre des tournants, accélérer, décélérer, etc.
Comprendre la pensée, c’est aller au cœur de cet indistinct, un lieu sans lieu. Elle est déstabilisante, remuante pour ceux que nous sommes. C’est renouer avec les semelles de vent. C’est écouter.