
Ce matin, je regarde par la fenêtre, je suis des yeux les nuages. C'est amusant les nuages, ils vont et
viennent. Ils apparaissent ici ou ailleurs. C'est une forme que l'on peut suivre d'un bout à l'autre. De ma fenêtre parisienne, de celle du train en Chine qui me conduisait à
Lhassa.
Ils sont un trait d'union. Une joie, une note accrochée au bleu du ciel. Le ciel est une icône vivante,
mouvante. Quand on regarde le ciel, on touche du doigt l'éternité.
Comment parler d'éternité en chinois ? Au détour de mes lectures. Je découvre que le mot « éternité » s'écrit
永 (yǒng). C'est un idéogramme fabuleux et très inspirant. Vous rendez-vous compte, en Chine, l'éternité a un idéogramme. Un seul. Un geste habile dessine ce caractère sur une feuille blanche. La
calligraphie est une danse. Chaque trait a son exactitude.
De notre côté, notre « éternité » est figée hors du temps. L'éternité étant définie, elle désigne ce qui
n'a ni début, ni fin. L'apparition sous sa forme latine du mot est attribuée à Cicéron. Il use du mot « aeternitas » pour définir le temps (nous sommes en 84 avant J.-C.). Avant Cicéron
apparaît chez les grecs, le mot « éternel ». Est éternel ce qui existe sans être détruit à travers le temps. Dans la tradition orphique, Chronos est apparu à la naissance du monde. Il
est considéré comme un dieu primordial. Il vit enlacé avec son épouse Ananké (déesse de la nécessité et de la fatalité) autour du monde-œuf. De leur enlacement naît la rotation du monde. Donc le
jour et la nuit, la lumière et les ténèbres.
Mais revenons à l'éternité en chinois. A bien y regarder, il ne diffère que très peu de l'idéogramme eau
水 (shuǐ). Regardons de plus près nous voyons alors que seul un accent diffère entre ces deux idéogrammes.
L'Eternité en chinois serait-elle « l'eau du monde » ?
Du ciel à l'éternité. De la douceur de l'eau à une éternité. Nous sommes tous plongés dans le même bain.
Faudrait-il ici faire le lien avec la pensée d'Héraclite qui affirme que l'on « ne peut se baigner deux fois dans le même fleuve, car c'est une autre eau » ? L'eau file entre nos
doigts, elle nous échappe. Mais l'eau du monde est bien plus que l'eau d'un fleuve.
D'un côté comme de l'autre, l'éternité est hors du temps. Ce temps qui nous ronge, nous angoisse. Mais dans la
pensée occidentale, l'éternité est inaccessible. Elle est comme le ciel, je peux le voir, je peux l'appréhender mais pas le toucher. Dans la pensée chinoise, l'éternité entendue comme « l'eau du
monde » me laisse à croire que nous sommes tous reliés, les uns aux autres. Cette eau mystérieuse nous relie, nous constituent. Nous sommes tous des éléments constitutifs de cette eau du
monde. Nous sommes des fragments de l'éternité.